La tronche de l'autre |
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Martine |
L'art d'accoucher les
esprits... Mouais. Y'a des gens qui en semblent
parfois dépourvus. Que faire lorsqu'on doit respect à
cette personne pour qui la lumière se fait attendre?
Est-il possible, Socrate, parfois, d'être totalement
impuissant? On dit qu'avec amour, on arrive à tout.
Amour et patience. J'ai essayé ça. Avec certains
humains, ça ne fonctionne pas. La maïeutique,
n'est-elle pas infaillible? Ça t'est arrivé de te
casser la gueule sur un esprit aussi fermé que
stupide? Des fois j'ai l'impression que ces murs de
béton et de connerie sont placés sur notre route afin
que nous puissions valider nos capacités. J'en ai
passé plusieurs, mais il en subsiste un ou deux sur
mon chemin qui m'empêchent d'avancer. On fait quoi
dans ce temps-là? On ne fait plus l'amour, on fait la
guerre? Tu crois que ça peut être efficace d'exploser
la tronche de l'autre parce que cet autre nous est
nuisible et nous semble même nuisible, à la limite,
pour l'ensemble de l'humanité? Bon, ça va, j'exagère peut-être un peu. Mais j'crois que tu m'entends. J'suis pas facho, mais des fois j'suis fâchée. |
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Disons que quand les
Spartiates ont envahi ma cité, ils avaient une idée
très arrêtée de ce qu'ils souhaitaient me faire et ce
n'était pas «l'amour» comme tu dis. J'ai dû me
défendre pour protéger la polis. L'art d'accoucher les esprits fonctionne strictement et exclusivement sur les esprits parturients. Quand un être humain pose une question, c'est qu'il est prêt pour la réponse. Entière. Si au lieu de poser des questions, il dicte des réponses, prépare-toi à te défendre... Socrate |
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<Martine |
Hmouais. D’accord, j’voudrais pas
faire l’amour à ceux qui m’emmerdent. Ceci étant dit,
la polis dont je fais partie comprend des
«micro-polis» et même, d’un point de vue plus
spécifique encore, ces «micro-polis» comprennent des
individus. Ce sont quelques-uns de ces spécimens qui
affectent, d’une certaine façon, ma qualité de vie. La
polis ne m’affecte plus. Je m’intéresse davantage aux
individus qui la composent. Je suis d’avis qu’ils sont
à la source des bobos de l’humanité, même, à la
limite. Or voilà, je ne peux m’empêcher de me rappeler que nous sommes des animaux, et que, d’un individu à un autre, il devrait être permis de grogner très fort ou de se mordre l’oreille pour signifier à l’autre qui est le plus fort. Sauf que... Ça risque de faire couler du sang, inévitablement... Ce qui m’empêche d’agir de la sorte. Ce sont justement ces personnes qui ne posent pas de questions... En fait, ces personnes sont tellement obtuses qu’elles ne savent pas en poser. À la limite, il semble que ça ne leur effleure pas même l’esprit de se poser la question à savoir pourquoi en poser. Elles savent tout. Ce qui revient à dire: rien. Oh! Je ne veux pas dire que je sais tout! Mais je crois qu’à partir du moment où on sait qu’on ne sait rien, dès lors, on en sait pas mal et on ne cesse d’en apprendre. Non? Tu me dis de me préparer à me défendre lorsque effectivement, ces personnes dictent des réponses (la plupart du temps insignifiantes à mon oeil, mais peut-être suis-je moi-même dans le tort.) Or pour ça je me défends bien. Mais être constamment en attente d’une raison de se défendre, on a l’impression de stagner. Voilà pourquoi, des fois, j’aimerais passer à l’offensive, quitte à laisser derrière moi un carnage. Tu fais quoi, toi, quand une loque a un pouvoir hiérarchique sur toi? J’veux dire, c’est toi qui préconisais l’idée que dans la polis idéale, chacun doit se satisfaire de sa place selon ses capacités, oui? Alors je fais quoi si j’te dis que ma supérieure devrait passer le balai dans une porcherie parce qu’elle n’a malheureusement pas les compétences intellectuelles pour comprendre mieux que ça? Encore une fois, peut-être que j’exagère un peu... Mais si peu... :) Jenesaisquoiment, Martine |
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Je connais des porchers qui sont de
fameux philosophes mais, si je te comprends bien, ce
ne n'est pas ce type de compliment que tu réserves à
ta commandante. À raison, certainement. Je ne vois rien de fallacieux ou d'inexact en ta colère ou ta révolte. Au contraire sa complexité, sa virulence subtile, son scepticisme taquin me prouvent hors de tout doute que voilà une colère profondément humaine. Ce qui m'amène, comme tristement, à la seule objection que je t'adresse, Martine: nous ne sommes pas des animaux. Socrate |