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Cher Samuel de Champlain,
Durant ces cours, j'ai beaucoup étudié votre personne,
mais un mystère reste à élucider. Lors de mes lectures
sur vos voyages, un drôle de personnage est entré en
jeu. Vos correspondants l'appellent l'Oncle provençal,
mais nous ne savons pas quel est son vrai prénom.
J'ai vu qu'on l'appelait aussi Guillaume Helaine ou
Guillermo Eleno. Il est aussi surnommé capitaine
Provenzano. Aidez-moi à élucider ce mystère, je désire
connaître ce personnage.
Cordialement,
Thomas
Monsieur Thomas,
Je ne suis point surpris que vous vous intéressiez à
l'Oncle car il est, d'aussi loin que mes souvenirs
veulent bien revenir, la personne la plus marquante
qu'il m'ait été donné de rencontrer. Je lui dois,
sinon la vie, en tout cas le plaisir de naviguer. Sans
lui je ne serais pas là où je suis en cet instant
même, car s'il est bon d'habiter de nouvelles terres
il faut déjà pouvoir y parvenir.
Je le rencontrai dans mes jeunes années, alors que
l'océan auprès duquel j'ai grandi m'appelait. Sans lui
à mes côtés, je serais certainement au fond de l'eau
depuis fort longtemps. Il m'apprit à être le marinier
que j'ai été tant que je pouvais monter sur le pond
d'un bateau. Ensemble nous avons parcouru les mers et
les océans, bravé les éléments et accosté en tout
point.
Guillaume Allene, puisque c'est ainsi qu'il s’appelait
par la grâce de Dieu, est né à Marseille mais a vécu
moult années à Brouage où je le vis pour la première
fois. Bien qu'il contât toujours qu'il était de la
Saintonge, il était de notoriété publique qu'il était
bien de la Méditerranée d'où son surnom si souvent
donné de Capitaine Provenzano. Je ne puis vous dire
pourquoi il tenait pourtant à se dire fils de l'océan
et non de la mer; peut être craignait-il de n'être
point pris au sérieux par les autres mariniers s'il
venait à avouer être né aux abords de la docile mer et
non auprès du tempétueux océan ou peut être voulait-il
perdre son statut d'étranger. Quoi qu'il en soit, il
n'eut jamais à douter de son talent, il n'y a pas eu
plus intrépide, plus téméraire que lui sur les océans.
Je suis fier d'avoir été son apprenti. Il fut mon
oncle et moi son neveu; les liens du sang ne sont rien
face à ceux de l'océan. Ce n'est autre que de l'eau
salée qui coulait dans nos veines respectives, aussi
salée que mes larmes le jour où il mourut à Cadix, me
laissant orphelin pour toujours.
Je parle assez peu de lui dans mes écrits mais
toujours avec affection. Il n'était pas un homme de
spectacle, il ne voulait point rester à la postérité.
Je ne puis que respecter cela même si je ne peux pour
autant occulter le grand rôle qu'il joua dans ma vie.
Peut-être entendrez-vous dire qu'il était plus pirate
que marin, mais n'écoutez point cela car aucun homme
de la terre ne saura jamais juger un homme de la mer.
Ce ne sont pas dans mes récits ni dans ceux des
autres, ni même dans les dires des gens du port, que
vous pourrez savoir qui était vraiment Le Provençal,
mais dans le rire des mouettes, le bruit des vagues et
le sifflement du vent dans les voiles lors d'une
tempête. Peut-être que là et seulement là vous pourrez
entendre son rire retentir, à travers les eaux et les
cieux et même à travers le temps.
Très humble et affectionné serviteur,
Samuel de Champlain
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